Mon cher banquier

Si je vous écris ce petit billet c’est un peu pour régler mes comptes
avec vous..
En plus de ne pas manquer de coffre, je trouve en effet que vous ne
manquez pas d’air.
Je n’irai pas jusqu’à vous traiter de voleur mais je n’arrive pas à
trouver le terme adéquat pour qualifier un individu auquel vous avez
confié votre portefeuille et qui vous le rend à moitié vide !
Moi aussi, je jouais souvent au Monopoly étant jeune mais j’évitais
soigneusement de jouer avec l’argent de mes parents.
Quelle n’a pas été mon angoisse quand j’ai pris connaissance de la
chute des Bourses ! J’ai vraiment eu peur à cet instant de perdre les
bijoux de famille que j’avais déposés chez vous lorsque celles-ci
étaient en pleine expansion.
J’ai conscience que les transactions financières sont de plus en plus
virtuelles et que chez vous, les espèces sont en voie de disparition :
j’aimerai toutefois que mes revenus ne se transforment pas en
revenants, le spectre de mes créanciers hantant toujours mes nuits.
Vous vous obstinez à m’envoyer régulièrement des relevés de compte
mais je constate que ceux-ci restent désespérément bas : vous ne
faites pas le moindre effort pour vos clients fidèles.
Pour ne pas être totalement négatif, je sais que chez vous il y a des
hommes d’actions qui ont toujours su faire face à mes obligations.
Je porterai également à votre crédit l’intérêt que vous portez à mes avoirs.
C’est d’ailleurs certainement votre caractère emprunté voire réservé
qui vous incite à traduire cet intérêt par un taux d’un niveau assez
proche de l’altitude du port de Perros-Guirec (j’aurais pu choisir un
autre port mais j’y ai mangé une excellente crêpe aux noix de St
Jacques au mois de novembre et je choisis celui que je veux).
Néanmoins, de grâce, arrêtez de me proposer des Sicav : je vous ai
déjà maintes fois répondu, mais vous devez être dur du portefeuille,
que mon trois pièces avec box me suffisait amplement.
Il est vrai que nous n’avons pas les mêmes préoccupations : j’ai
besoin d’argent pour descendre faire mes courses au marché. Vous avez
besoin de mon argent pour faire monter les cours de vos marchés.
Mon ambition est, j’en conviens, plus limitée que la vôtre, mais je
n’ai plus de yaourts dans mon frigo.
Je ne peux pas vous reprocher un manque d’équité : un directeur
commercial, un émir, un notaire, un avocat, un magnat du pétrole
seront accueillis avec la même ferveur même s’ils ont oublié sur un
moment de distraction de présenter leurs trois derniers bulletins de
salaire. Tout juste peut-on noter une très légère retenue si le client
est chômeur de longue durée.
Nous avons et nous allons contribué jusqu’à la 5ème génération au
comblement du trou creusé dans le budget de l’Etat pour vous soutenir
dans la crise financière récente.
Je dois dire qu’à titre personnel c’est avec un réel plaisir que je
vais me passer de mes vacances à Honfleur pour vous aider à financer
les vôtres aux Seychelles : de toute façon, les Seychelles, c’est très
surfait. J’espère toutefois que vous aurez beau temps.
Finalement vous avez beau dire que les taux sont comprimés mais en
réalité l’étau se resserre.
Au fait, n’attendez plus mes prochains virements, j’ai été viré ce matin.

Mon cher banquier, je ne suis pas votre débiteur.