A l'heure des faux débats sur l'Identité nationale, deux journalistes ont voulu plonger dans les Archives nationales et compulser l'océan de documents qui nous parlent de la naturalisation de nos chers : Marc Chagall, Blaise Cendars, Guillaume Appolinaire, Serge Gainsbourg, Sylvie Vartan, Michel Drucker, François Cavana ou Yves Montand. L'histoire de la naturalisation ou dénaturalisation du père Ferrat,   Domenech ou MINC  y est tout aussi instructive.

Ces papiers parfois abimés, mâchés sur les bords, l'encre un peu effacée révèlent d'où viennent ceux qui sont le patrimoine de la France, ceux par qui la France est aimée de beaucoup d'étrangers.

Ils venaient de Russie, de Pologne ou d'Afrique Noire ou de l'Orient, chassés par les progroms, le communisme, les fascismes ou tout simplement la misère.

Ils n'étaient pas nés français, ils avaient choisi de le devenir. Ils se sont battus pour cela. A l'époque, ils n'étaient que réfugiés anonymes, noyés dans la foule des immigrants en quête d'une vie meilleure.. Ces histoires singulières en racontent mille autres, universelles, intemporelles : antifranquistes de 1939 ou Afghans d'aujourd'hui, mineurs polonais ou sans-papiers maliens, tous les exils se ressemblent. Aujourd'hui comme hier ce sont les enfants qui guidaient leurs pères analphabètes dans les méandres de l'administration.

Ces archives racontent tant d'espoirs et d'humiliations ; lettres de motivation, déclarations d'amour enflammées à la France, sèches notifications d'ajournement ou, pire, sous Vichy, avis de dénaturalisation.. En un siècle les lois ont changé, mais par un effet de balancement elles semblent vouloir revenir. L'administration elle est toujours curieuse : d'où vient-il, combien gagne-t-il, a-t-il des opinions politiques, est-il "loyal" envers notre pays ?  Cette dernière notion de "loyalisme" donc de "bon français" est à géométrie variable. Mieux vaut ne pas être résistant sous Vichy, ex-collabo à la libération ou communiste pendant la guerre froide, ou tout comment aujourd'hui arabe/musulman.

La République est accueillante lorsqu'elle a besoin de bras pour combattre ou travailler. Après la première guerre mondiale les lois de 1927 favorisent l'acquisition de la nationalité française. Dès 1930, après la crise, l'extrème-droite commence à les contester et dénonce "l'invasion des métèques".
En 1940, le gouvernement de Pétain fait réexaminer les dossiers de toutes les personnes devenues françaises depuis 1927. Les Gainsbourg, Chagall, sont considérés comme "trop juifs" pour être français et sont dénaturalisés.

Quid des Noirs, Arabes, Asiatiques ; ceux-là ils n'étaient pas "citoyens" mais simples "sujets" de l'empire français !

Autres laissés-pour-compte de l'administration : les femmes qui prenaient automatiquement la nationalité de leur mari : Marie Curie est devenue française par mariage.

Un quart des Français, aujourd'hui, ont des ascendants étrangers. Peut-on concevoir aujourd'hui une France sans Jamel Debbouze ou Marie Ndiaye, sans Montand ou Drucker. Sans "La Bohème" de Charles Aznavour, "la Javanaise" de Gainsbourg, ou le plafond de l'opéra de Chagall. Une France sans immigrés serait une France décapitée. La France peut être fière d'un modèle qui a permis à tant d'entre eux, venus du fin fond de la misère, de "devenir quelqu'un". Reste à savoir si la République d'aujourd'hui donnera sa chance aux petits français du XXI° siècle. A chacun de nous de répondre. De chacun de nous dépend que ce modèle fonctionne encore et pour longtemps.

"Où serions-nous si nous arrivions de Roumanie aujourd'hui ? s'interroge Michel Drucker. Dans une cité ghetto ? Dans une caravane sous le périph ?" Dans un charter, peut être.