Absente du département la dernière semaine de septembre, je viens de prendre connaissance des deux pages consacrées par SO le 28 septembre à ce sujet. Ceux qui ont lu les 7 épisodes qui précèdent, n’auront eu que confirmation de ce dont je tenais à vous informer.

Ce week-end les Allemands se sont fortement mobilisés contre ce projet d’Accord.
Aujourd’hui ce sont 31 communes landaises qui se sont déclarées « hors champ d’application TAFTA »

 

A Pomarès et à Tarnos les associations landaises réunies dans la mobilisation contre ce projet, organisent une manifestation en fin de semaine

 

Voici donc le 8ème et dernier épisode qui termine le contenu du mandat donné à la Commission européenne.

 

 

Le Commerce de l’énergie et des matières premières

 

37 L’Accord comprendra des dispositions concernant le commerce et les aspects liés à l’investissement en ce qui concerne l’énergie et les matières premières. Les négociations devraient viser à assurer un environnement commercial ouvert, transparent et prévisible en matière d’énergie et à garantir un accès libre et durable aux matières premières.

 

Cet article vous l’aurez compris rend possible la perte de la maîtrise par les pouvoirs publics de toute politique énergétique. Non seulement cet article va permettre la concurrence (et donc la privatisation à terme) de la production et de la distribution de toutes les formes d’énergie, mais il ouvre la porte à la contestation de lois limitant ou interdisant l’usage de certaines d’entre elles (gaz de schiste). Les Etats de l’UE ne seront plus maîtres ni de leur sol, ni de leur sous-sol, ni de leur pouvoir de fixer les prix des produits énergétiques sur le marché national.

 

Les petites et moyennes entreprises

 

38 L’Accord comprendra des dispositions sur les aspects liés au commerce des petites et moyennes entreprises.

 

On s’étonnera, que conformément à la philosophie du libre-échange à laquelle ils se montrent si attachés, les gouvernements de l’UE n’aient pas demandé à la Commission d’obtenir qu’il soit mis fin à la législation américaine réservant 25% des marchés publics aux PME américaines. Cette absence de précaution, nous soumet aux entreprises américaines ! En toute connaissance de cause ! Et après on s’étonnera que « le plomber américain » supplante le «  plombier français, voire polonais « !

 

Mouvements de capitaux et paiements

 

39 L’ Accord comprendra des dispositions sur l’entière libéralisation des paiements courants et des mouvements de capitaux, et inclura une clause de statu quo. Il comprendra des dispositions dérogatoires (par exemple en cas de difficultés graves pour la politique monétaire et de taux de change, ou en cas de surveillance de la fiscalité), qui seront en conformité avec les dispositions du traité de l’UE sur la libre circulation des capitaux. Les négociations devront tenir compte des sensibilités attachées à la libéralisation des mouvements de capitaux qui ne sont pas liées à l’investissement direct.

 

Les leçons de la crise financières ne sont pas tirées et les spéculateurs gardent les coudées franches. Aucune proposition de régulation du capitalisme financier. On lira avec sourire le conseil visant à « tenir compte es sensibilités attachées à la libéralisation des mouvements de capitaux qui ne sont pas liées à l’investissement direct ». Ce qui désigne les mouvements financiers purement spéculatifs. « Tenir compte des sensibilités » dit le mandat. Mais pas taxer, réguler ou, mieux encore, interdire ces mouvements spéculatifs.

 

Transparence

 

40 L’Accord traitera des questions de transparence. A cette fin il comprendra des dispositions sur :

-         l’engagement de consulter les parties prenantes ayant l’introduction des mesures ayant un impact sur le commerce et l’investissement,

-         la publication des règles générales et des mesures ayant un impact sur le commerce et l’investissement dans les biens et les services au niveau international,

-         la transparence en ce qui concerne l’application de mesures ayant un impact sur le commerce et l’investissement des biens et des services au niveau international.

 

La transparence vise non seulement la publication des législations et réglementations relatives au commerce et à l’investissement des biens et services, mais aussi l’obligation de consulter les fournisseurs et investisseurs des biens et services avant l’adoption de lois et règlements. Ce qui revient bien à dire de subordonner la définition des normes d’intérêt général aux intérêts particuliers du secteur privé, de subordonner l’acte de légiférer qui doit émaner du législateur, en démocratie, aux desirata des fournisseurs et investisseurs. Cet article de l’Accord supprime de fait la démocratie.

 

41 Rien dans cet Accord ne devrait affecter le droit de l’UE ou des Etats membres concernant l’accès du public aux documents officiels.

Jugez comme le temps de conjugaison employé est remarquablement sournois ! Il y a beaucoup d’humour dans cette disposition qui pourrait faire croire que l’accès aux documents officiels est plus aisé au sein de l’UE qu’aux USA !

 

Autres domaines

 

42 Suite à l’analyse de la Commission et après consultation préalable avec le Comité de la Politique commerciale et en conformité avec les traités de l’UE, l’Accord peut comporter des dispositions concernant d’autres domaines liés aux relations commerciales économiques là où, dans le cours des négociations, un intérêt mutuel s’est exprimé pour le faire.

 

En concertation avec les gouvernements des 28 Etats membres, la Commission européenne dispose du droit d’introduire dans les négociations des sujets qui n’ont pas été explicitement indiqués dans le présent mandat mais qui ont fait l’objet d’un accord « entre les Parties pour en discuter.

 

Cadre institutionnel et dispositions finales

 

43 Cadre institutionnel

L’Accord mettra en place une structure institutionnelle en vue de garantir un suivi efficace des engagements découlant de l’Accord, ainsi que de promouvoir la réalisation progressive des la compatibilité des régimes réglementaires.

 

« In cauda venenum » disait les Romains. C’est en effet dans les dernières dispositions du mandat que se trouve le venin. On veut mettre en place une structure institutionnelle non seulement pour veiller au respect de l’Accord, mais également pour poursuivre la négociation sur l’abolition des normes, un processus de dérégulation systématique délicatement baptisé « réalisation progressive de la compatibilité des régimes réglementaires ». Quels seront les décideurs de cette structure institutionnelle ? Qui les désignera ? De quelle autorité sera-t-elle investie : recommandations ou décisions contraignantes ? A quel contrôle démocratique sera-t-elle soumise ? Le Commissaire européen en charge des négociations, le très libéral Karel De Gucht, a proposé la création d’un Conseil de Coopération sur la Réglementation (Regulatory Cooperation Council). Par parenthèse, on observera une fois de plus cette habitude récurrente des eurocrates d’user de mots qui désignent le contraire de ce qu’ils veulent faire : on parle de réglementation, alors qu’il s’agit de déréguler. La description de ce Conseil fournie par Mr De Gucht correspond presque mot pour mot aux termes de cet article 43. Elle répond à la pression incessante des lobbies patronaux qui veulent échapper au pouvoir normatif des institutions démocratiques. Le travail ultérieur sur les régimes réglementaires sera-t-il soumis à la ratification des Etats ? La question est pertinente dans la mesure où la Commission européenne propose que cela ne soit plus le cas, ce qui donnerait un pouvoir législatif supranational à cette institution !!!

 

44 La Commission, dans un esprit de transparence, fera régulièrement rapport au Comité de la politique commerciale sur le cours des négociations. La Commission, en vertu des Traités peut faire des recommandations au Conseil sur d’éventuelles directives de négociation supplémentaires sur toute question, avec les mêmes procédures d’adoption, y compris les règles de vote, que celles de ce mandat.

 

Cet article nous apprend que les 28 gouvernements sont régulièrement informés de l’état d’avancement des négociations. On notera que les gouvernements ne manifestent guère le souci de partager ces informations avec les élus du peuple. Cet article rend possible l’inscription à l’ordre du jour des négociations de n’importe qu’elle matière que la Commission voudrait ajouter, comme par exemple l’audiovisuel.

 

45 Règlement des différends

 

L’Accord comprendra un mécanisme de règlement des différends approprié, ce qui fera en sorte que les Parties respectent les règles convenues. L’Accord devrait inclure des dispositions pour le règlement le plus indiqué des problèmes, comme un mécanisme de médiation flexible.

 

Revoici le mécanisme de règlement des différends déjà prévu pour les investisseurs (article 25) et les normes dans les domaines du travail et de l’environnement (article 32), ici applicable à l’ensemble de l’Accord. Il s’agit d’un mécanisme analogue à celui qu’on trouve dans l’Accord de libre-échange de l’Amérique du Nord (ALENA) ; ce mécanisme agit indépendamment des juridictions nationales qui se voient dépouillées de leurs compétences dans les matières couvertes par cet Accor. Il permet aux firmes privées d’agir contre les pouvoirs publics nationaux et locaux. Ses décisions sont d’application immédiate. Il n’y a pas d’instance d’appel. A tire d’exemple, ce qu’a décidé le Conseil Constitutionnel en déclarant la loi interdisant l’exploitation du gaz de schiste conforme à la Constitution de notre République ne pourra plus se produire puisqu’il sera dessaisi de cette compétence dès lors que la plainte sera introduite par un investisseur américain. Ce mécanisme d’arbitrage privé retire aux institutions officielles des Etats membres (Parlement, Gouvernement, etc. ..), le soin de définir les normes pour le confier au secteur privé. Aux sceptiques, il faut rappeler que dans le cadre de l’Accord ALENA, le Canada a été à ce jour poursuivi au moins 30 fois par des firmes américaines devant un tel mécanisme et qu’il a été condamné au total à payer 226 millions de dollars à ces firmes qui contestaient des législations et des réglementations en vue de protéger la santé et l’environnement ou qui encourageaient des énergies alternatives durables !

 

46 L’Accord qui fera foi de façon égale dans toutes les langues officielles de l’UE, doit comporter une clause linguistique.

 

Je donne ci-après d’autres informations relatives à ce mécanisme de règlement des différends qui est le cœur et le but de cet Accord, celui qui jusqu’à présent ne suscitait aucune réaction, et qui va sans doute comme pour l’AMI, être la pierre d’achoppement qui fera avorter ces négociations.

 

Ce mécanisme figure dans 3 articles ; la volonté d’y revenir par 3 fois illustre la résignation, au pire la volonté, des gouvernements de s’incliner devant une exigence forte du secteur privé : avec pour conséquence la privatisation du droit international.
Cette privatisation a pris corps déjà en 1994 avec l’adoption par les gouvernements du Mémorandum créant l’Organe de Règlement des Différends (ORD) dans l’OMC et entré en application en 1995.
Ce sont des personnes privées choisies par les entreprises, et de fait, l’ORD est devenue l’organisation la plus puissante du monde :en effet,

-         chaque fois qu’un Etat s’engage à activer une des dispositions gérées par l’OMC elle devient obligatoire

-         le champ couvert par les accords OMC est vaste et dépasse de loin ce que recouvre le mot « commerce ». De ce fait l’OMC a un impact considérable sur la vie quotidienne des individus, comme l’indique Mr Canal-Forgues, Professeur d’Université et directeur du Centre de droit international comparé

-         l’OMC est la seule institution internationale dont les règles prédominent sur l’ordre interne des Etats membres

-         L’ORD, et par conséquent l’OMC, est seule au niveau international à disposer d’un instrument ayant la capacité à faire sanctionner les ETATS membres pour non respect de ses règles. Le mécanisme est si efficace qu’un Etat condamné ne peut se soustraire à la sanction puisque celle-ci peut être appliquée par l’Etat vainqueur sous forme d’un droit de rétorsion

-         Dès lors l’OMC, est la seule institution internationale en capacité d’imposer ses règles (avec le Conseil de Sécurité lorsqu’il applique le chapitre VII de la Charte des Nations-Unies) ; ce qui signifie que les règles de l’OMC ont priorité sur la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, sur les Conventions sociales de base de l’Organisation Internationale du Travail, sur les décisions de l’Organisation Mondiale de la Santé, sur la Convention de l’UNESCO protégeant la biodiversité, sur le Protocole de Tokyo…

 

Donc ces valeurs primordiales ne sont pas prises en compte aujourd’hui, et par le biais de l’OMC et son bras armé l’ORD, ce sont les seules valeurs marchandes qui s’imposent au monde entier. Notons que même les partisans de l’ORD conviennent dans des termes trop prudents que « le manque de transparence des procédures et règlements des différends du fait de leur rop grande confidentialité « engendre une crise de légitimité.

Dans le cas de l’Accord qui vient d’être exposé, le mécanisme des différends est encore moins satisfaisant par rapport aux valeurs primordiales de l’ensemble des droits de l’homme. En effet il comporte deux différences capitales.
Le premier point : alors que l’OMC oppose des ETATS , avec cet Accord ce sont des firmes privées qui pourront entamer directement des actions contre les différends niveaux des pouvoirs publics (comme le prévoyait l’AMI rejeter par JOSPIN).
Le deuxième point : à l’OMC il existe une procédure d’appel, l’Accord en négociation, aucune.

 

Le mécanisme qui est prévu ressemble nettement à celui inscrit dans l’Accord ALENA(USA-Canada - Mexique) depuis 20 ans.

C’est une composition qui la différencie nettement des juridictions nationales dans ce qu’il est convenu d’appeler un Etat de droit et qu’on appelle « tribunal indépendant » (un des piliers de la démocratie).

Dans ce mécanisme le choix de la procédure et du droit applicable échappe à l’Etat, les groupes d’arbitrage sont constitués au cas par cas, les arbitres ne sont pas des magistrats, les compétences rationae materiae (sur les matières) et rationae personae (sur les personnes) des arbitrages sont excessivement larges, la transparence de la procédure et la publicité des débats font totalement défaut, les procédures négligent l’obligation du débat contradictoire, des concepts subjectifs comme « normes plus rigoureuses que nécessaires », « traitement juste et équitable », « normes minimales des traitements », « obstacles inutiles à la concurrence » etc.. sont introduits afin d’obliger les Etats à modifier leurs propres normes en vue de respecter des normes qui ne écoulement ni de leurs droits internes, ni même de leurs engagements internationaux (par ex : OIT, UNESCO, KYOTO, RIO..).
Il en résulte que la norme n’est plus le résultat de la délibération démocratique née de la souveraineté populaire, mais l’expression de la volonté des firmes privées. Ce mécanisme de règlement des différends participe de cette évolution ravageuse pour la cohésion sociale, qui à coup de libéralisations et de privatisations conduit au recul de l’Etat régulateur et redistributeur et à l’hégémonie de l’économie néo-libérale. Il privilégie l’individu (mais pas le plus pauvre) et nie, selon les dogmes libéraux, la réalité de la société et donc l’intérêt général et le bien commun.

 

Les conséquences de ce mécanisme seront néfastes pour l’économie européenne et notre vision de consommateur sur les biens et les services.
Inutile de rappeler les effets de l’Accord ALENA : 30 condamnations du Canada, et 5 condamnations du Mexique, sur 30 et 5 procés engagés, aucune condamnation des USA sur les 22 engagées soit par le Mexique, soit par le Canada.

 

Ainsi, après avoir affirmé le primat d’une économie fondée sur une concurrence sans limite en appliquant la totalité des accords de l’OMC, avec « un haut niveau d’ambition d’aller au-delà », le grand marché que cet Accord voudrait mettre en place, permettrait de démanteler toutes nos législations et réglementations qui résultent de nos choix de vie et de nos choix de société.

Il n’est pas excessif d’affirmer que son adoption marquerait la fin d’un cycle historique : celui qui a commencé en 1789 avec l’affirmation que « tous les pouvoirs émanent du peuple » qui serait remplacé par « tous les pouvoirs émanent des firmes privées ».