Je ne peux pas résister ! J’aurais aimé avoir ce talent d’écriture tout au long de mes billets qui ont évoqué le comportement du gouvernement français à l’égard des exilés.
Le Pape qui nous avait enjoints au niveau européen d’ouvrir nos portes et nos cœurs a trouvé un allié. Et quel allié.

 

Voici cette lettre ouverte. Par Yann MOIX, écrivain, et réalisateur.

Libération du lundi 22 janvier 2018

 

 

Monsieur le Président de la République,

Chaque jour vous humiliez la France en humiliant les exilés. Vous les nommez « migrants » ; ce sont des exilés. La migration est un chiffre ; l’exil est un destin. Réchappés du pire, ils représentent cet avenir que vous leur obstruez, ils incarnent cet espoir que vous leur refusez. C’est à leur sujet que je vous écris.

Vous avez affirmé, dans votre discours de Calais, que « ceux qui ont quelque chose à reprocher au gouvernement s’attaquent pas à sa politique, mais qu’ils ne s’attaquent pas à ses fonctionnaires ». Je m’en prendrai aujourd’hui à vous. Et à vous seul.

Je ne suis pas, comme vous dites, « un commentateur du verbe » : je suis un témoin de vos actes. Quant à votre verbe, il est creux, comme votre parole est fausse et votre discours, double.

J’affirme, Monsieur le Président, que vous laissez perpétrer à Calais des actes criminels envers les exilés. Je l’ai vu, je l’ai filmé.

J’affirme, monsieur le Président, que des fonctionnaires de la République française frappent, gazent, caillassent, briment, humilient des adolescents, des jeunes femmes et des jeunes hommes dans la détresse et le dénuement. Je l’ai vu, je l’ai filmé.

J’affirme, monsieur le Président, que des exilés non seulement innocents, mais inoffensifs, subissent sur notre territoire des atteintes aux droits fondamentaux de la personne. Je l’ai vu, je l’ai filmé.

Vous menacez de saisir la justice si les « faits dénoncés ne sont pas « avérés ». Voici donc, Monsieur le Président, les images des conséquences obscènes de votre politique. Ces actes de barbarie, soit vous les connaissiez et vous êtes indigne de votre fonction ; soit vous ne les ignoriez et vous êtes indigne de votre fonction. Ces preuves, si vous les demandez, les voici ; si vous faites semblant de les demander, les voici quand même. Les Français constaeront ce que vous commettez en leur nom. 3Je ne peux pas laisser accréditer l’idée que les forces de l’ordre exercent des violences physiques », avez-vous dit. Ajoutant : « Si cela est fait et prouvé, cela sera sanctionné ». D’abord, vous menacez de procès en diffamation ceux qui démasquent votre politique ; ensuite, vous menacez de procédures de sanction, ceux qui l’appliquent.

 

Journaliste, policiers : avec vous, tout le monde a tort à tour de rôle. Les uns d’avoir vu, les autres d’avoir fait. Tout le monde a tort sauf vous, qui êtes le seul à n’avoir rien vu, le seul à n’avoir rien fait. On attendait Bonaparte, arrive Tartuffe.

Soit les forces de l’ordre obéissent à des ordres précis, et vous êtes impardonnables, soit les forces de l’ordre obéissent à des ordres imprécis, et vous êtes incompétent. Ou bien les directives sont données par vous, et vous nous trahissez ; ou bien les directives sont données par d’autres, et on vous trahit.

Quand un policier individuellement dépasse les bornes, on appelle cela une bavure. Quand des brigades entières dépassent les bornes, on appelle cela un protocole. Vous avez instauré à Calais, Monsieur le Président, un protocole de la bavure.

Quand une police agit aussi unie, pendant si longtemps, elle ne peut le faire sans se plier à un commandement. Est-ce bien vous, Monsieur le Président, qui intimez aux policiers l’ordre de déclencher ces actions souillant la dignité de l’homme ? Vous y avez répondu vous-même : « dans la République, les fonctionnaires appliquent la politique du gouvernement. »

L’histoire a montré qu’on peut parfois reprocher à un policier de trop bien obéir. Mais elle a surtout montré qu’on doit toujours reprocher à un président de mal commander, précisément quand le respect humain est bafoué. En dénonçant les violences policières, en cherchant à savoir qui est le donneur de ces ordres, je ne fais que défendre la police, parce que lui donner de tels ordres, c’est justement porter atteinte à son honneur.

« La situation est ce qu’elle est par la brutalité du monde qui est le nôtre », dites-vous. Peut-on attendre, Monsieur le Président, qu’une situation aussi complexe soit démêlée par une pensée aussi simpliste ?

Que des décisions si lourdes soient compatibles avec des propos si légers ? On attendait Bonaparte, arrive La Palisse !

Serez-vous plus enclin à l’émotion qu’à la réflexion ? Ecoutez la voix de ces jeunes qui, fuyant les assassins et la dictature, rançonnés puis suppliciés en Lybie, traversent la Méditerranée sur des embarcations douteuses pour accoster, à bout de forces, dans une Europe que vous défendez par vos formules et qu’ils atteignent par leur courage. Vous avez osé dire : « Notre honneur est d’aider sur le terrain celles et ceux qui apportent l’humanité durable dans la République ». Au vu de ce qui semblerait être votre conception « de l’humanité », les associations préfèrent l’aide que vous leur avez refusée à celle que vous leur promettez. A Calais, on vous trouve plus efficace dans la distribution des coups que dans la distribution des repas.

Ces associations, Monsieur le Président, font non seulement le travail que vous ne faites pas, mais également le travail que vous défaites. Quant à votre promesse de prendre en charge la  nourriture, elle n’est pas généreuse : elle est élémentaire. Vous nous vendez comme un progrès lz fin d’une aberration.

La colonisation en Algérie, Monsieur le Président, vous apparut un jour comme « un crime contre l’humanité ». Ne prenez pas la peine de vous rendre si loin dans l’espace et dans le temps, quand d’autres atrocités sont commises ici et maintenant, sous votre présidence. Sous votre responsabilité.

Faites, Monsieur le Président, avant que l’avenir n’ait honte de vous, ce qui est en votre pouvoir pour que plus un seul de ces jeunes qui ne possèdent rien d’autre que leur vie ne soit jamais plus violenté par la République sur le sol de la nation. Mettez un terme à l’ignominie. La décision est difficile à prendre ? On ne vous demande pas tant d’être courageux, que de cesser d’être lâche.

Saccages d’abris, confiscations d’effets personnels, pulvérisation de sacs de couchages, entraves à l’aide humanitaire. Tel est le quotidien des exilés à Calais, Monsieur le Président ? Hélas, vous ne connaissez rien de Calais. Le Calais que vous avez visité mardi dernier n’existe pas : c’était un Calais pipé : c’était un Calais sans « migrants ». Un Calais sur mesure, un Calais de carton-pâte. Le Calais que vous avez visité, monsieur le Président, ne se trouve pas à Calais.

Le Défenseur des droits a dénoncé, lui aussi, « le caractère exceptionnellement grave de la situation » qu’il n’hésite pas à décrire comme « étant de nature inédite dans l’histoire calaisienne ». Une instance de la République, Monsieur le Président, donne ainsi raison à ceux à qui vous donnez tort. Mais je vous sais capable de ne pas croire vos propres services, tant vous donnez si souvent l’impression de ne pas croire vos propres propos.

Comme on se demande à partir de combien de pierres commence un tas, je vous demande, Monsieur le Président, à partir de combien de preuves commence un crime. Je citerai enfin les conclusions de la « mission IGA-IGPN-IGGN relative à l’évaluation de l’action des forces de l’ordre à Calais et dans le Dunkerquois » d’octobre 2017 – mission qui dépend du ministre de l’intérieur : « l’accumulation des témoignages écrits et oraux, bien que pouvant tenir lieu de preuves formelles, conduit à considérer comme plausibles des manquements à la doctrine d’emploi de la force et à la déontologie policière, principalement à Calais. Ces manquements portent sur des faits de violences, sur un usage disproportionné des aérosols lacrymogènes, la destruction d’affaires appartenant aux migrants ainsi que le non-respect de l’obligation du matricule RIO (référentiel des identités et de l’organisation des forces de l’ordre agissantes) ».

Permettez-moi, Monsieur le Président, de traduire cette phrase dans un français non policier : « Nous croulons sous les preuves de violences policières, notamment des gazages, mais nous refusons de les considérer comme des preuves au sens strict, car cela risquerait de froisser le ministre de l’intérieur, qui serait obligé d’enquêter sur l’épidémie d’anonymat qui saisit ses troupes au moment de l’assaut contre les migrants ».

Vous dites : « je ne peux pas laisser accréditer l’idée que les forces de l’ordre utilisent la violence ». Les violences vous dérangeraient-elles moins que le fait qu’on les laisse accréditer ?

A l’heure, Monsieur le Président, où vous décrétez ce qui est, ou n’est pas, une « fake news », vous nous rappelez de manière salutaire que vous êtes prompt au mensonge éhonté. On attendait Bonaparte, arrive Pinocchio.

Je ne sais pas de quoi vous êtes responsable ; je sais seulement en quoi vous êtes irresponsable. Le grand mérite de votre politique, c’est qu’on peut la voir à l’œil nu.

Surtout à Calais, où tout est fait pour rendre impossible aux exilés l’accès à l’Angleterre. Non seulement ils n’ont pas le droit de rester, mais ils n’ont pas la possibilité de partir. Que doivent-ils faire ? Attendre qu’on leur brûle la rétine ? Ou bien jouer leur destin en tentant la traversée ? Vous menacez en tout, Monsieur le Président, des gens qui ne nous menacent en rien. Votre politique qui ne fait que trahir nos valeurs, elle les insulte. Les mesures anti migratoires sont toujours populaires. Mais voulant faire plaisir à la foule, vous trahissez le peuple.

Le Préfet du Pas de Calais m’a appelé, furieux, osant se réclamer de Jean-Moulin ; mais, Jean Moulin s’est battu pour faire cesser la barbarie, non pour intimider ceux qui la dénoncent. Les exilés sont des victimes. Laissez les martyrs morts en paix ; cessez de faire la guerre aux martyrs vivants. Jean Moulin fur supplicié pour une France qui accueille les hommes, pas pour une France qui les chasse. Dites à votre Préfet que se réclamer d'un hérons de la Résistance, quand, dans sa propre sous-préfecture, Erythréens, Afghans et Soudanais sont harcelés, délogés, gazés nuit et jour, c’est prendre Jean Moulin en otage. Et c’est le trahir une deuxième fois.

Ce n’est plus vous qui êtes en marche, Monsieur le Président, c’est la vérité. Vous pouvez porter plainte contre moi pour diffamation : la postérité portera plainte contre vous pour infamie.

 

Fin de la lettre.

 

La série Cadeau de Macron reprendra après ce billet que j’estimais urgent de populariser.

Duplicité quand tu nous tiens !